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JMFRAIXE
5 août 2013

Le portable

 

 

Le portable

 

 

- Certainement. Donnez-moi votre nom, adresse, quittance d’EDF et relevé d’identité bancaire. Voici votre contrat, veuillez signer ici pour le contrat et ici pour l’autorisation de prélèvement sur votre compte.

 

Lucette, donnez un K700 à Madame et expliquez-lui le fonctionnement.

 

- Venez avec moi, je vais vous montrer.

 

Je suis la vendeuse, blonde, insignifiante qui me conduit dans un espace vaguement isolé de la zone de vente.

 

Je me demande encore pourquoi je viens d‘acheter cet appareil. Posé sur le comptoir, je le contemple alors que la vendeuse sort la documentation de sa boîte. Je dois reconnaître qu’il est très beau. Compact, chromé, écran foncé, lettres ou symboles en couleurs. Je devine que la vendeuse découvre en même temps que moi ce nouveau modèle et en apprend les principes de fonctionnement tout en me le présentant.

 

A l’analyse, cette blonde n’est pas si mal que cela. Je la regarde lire rapidement les particularités du modèle, sautant les paragraphes qui se rapportent aux caractéristiques basiques de la gamme et qu’elle connaît par cœur, pour se concentrer sur ceux spécifiques de « mon » portable.

 

Jusqu’à ce jour, je ne faisais pas de distinction. Il y avait des portables. Aujourd’hui, les choses ont changé. Certes, il y a toujours « les portables » mais en plus il y a le mien, plus beau, plus moderne, on peut faire des photos, les envoyer par internet, les enregistrer pour les imprimer sur une imprimante laser, envoyer des SMS (…_ _… en morse, juste avant l’appel au secours …_ _ _… pour SOS), gérer son  temps sur un calendrier électronique qui vous rappelle les rendez-vous, les évènements par l’intermédiaire d’une sonnerie dont un peut choisir la mélodie ; autant de chose qui me font me demander comment j’ai pu m’en passer depuis si longtemps.

 

J’ai toujours été très scolaire et je note tous les détails de l’enseignement de ma vendeuse. Voyant mon attention, cette dernière en rajoute, va au-delà de la simple démonstration. Elle m’explique les subtilités de  la gestion de l’annuaire, le message d’accueil, etc. Son attitude est celle du comédien qui sent « son » public, qui devient excellent s’il se sent compris, suivi, apprécié, aimé par le public. Après une demi-heure de cette leçon, nous sentons ensemble qu’il n’y a plus de raison de poursuivre : elle m’a tout dit et j’ai, je pense, à peu près tout compris.

 

- mettez-moi un numéro de téléphone dans le répertoire pour vérifier que j’ai bien compris et que je puisse appeler pour vérifier que cela fonctionne.

 

- facile. Tenez, je vais mettre le mien, comme cela vous pourrez toujours m’appeler si vous avez une question sur une fonction que vous n’auriez pas comprise : voyez, j’appelle « répertoire, ajouter un  nom, valider, ajouter le numéro, valider, enregistrer ». Voilà, c’est fait !

 

- attendez, je vais vous appeler. J’appelle « répertoire, je déroule, c’est facile, il n’y a que votre numéro, j’appuie sur appeler ». Ça sonne !

 

Sa main plonge dans sa poche et ressort avec un appareil de même marque  que le mien. Je n’ai pas entendu la sonnerie, elle met son appareil sur vibreur pour ne pas déranger les clients et, surtout, ne pas être repérée par son chef si elle a un appel personnel. Elle prend la ligne :

 

- allo ?

 

Je ne sais plus quoi faire. Subitement, mon téléphone prend un sens. J’ai appelé et quelqu’un a répondu. Ce n’est donc pas un objet inerte, il a donc une âme. Il peut être l’intermédiaire de deux désirs : celui d’appeler et celui d’entendre.

 

- allo, c’est vous ?

- oui, vous m’entendez bien ?

- 5 sur 5, mademoiselle. Que puis-je faire pour vous être agréable ?

 

Je reçois cette formule de politesse avec une sensation bizarre. Je relève la tête et la regarde. Elle est à quelques mètres de moi : loin dans le téléphone, proche à mes yeux. Le contraire de la réalité téléphonique habituelle.

 

- je ne sais pas. Rien sans doute.

 

Il me semble qu’elle a une légère déception. Je ne veux pas être désagréable :

 

- au fait, si. J’utiliserai votre invitation à vous appeler si je ne comprends pas bien une fonction et n’arrive pas à décrypter le manuel.

 

- Oui, quand vous voudrez. N’hésitez surtout pas !

 

J’appuis doucement sur la  touche « fin de communication », je ne voudrais pas lui donner l’impression que je lui raccroche au nez et le confirme par un petit sourire complice qui lui plaît bien.

 

Elle reprend mon téléphone en retire la batterie de démonstration, me recommandant de mettre la neuve dès mon arrivée à la maison et de la laisser en charge toute la nuit. « A bientôt » me dit-elle d’un ton appuyé.

 

Elle m’accompagne à la porte « je m’appelle Lucette » sont ses derniers mots.

 

J’avais bien vu que le téléphone était la maladie de l’époque. De la même manière que le possesseur d’une nouvelle voiture n’a d’yeux que pour le même modèle qu’il voit passer devant lui, comme s’il n’existait plus que celui-ci sur le marché, je ne voyais plus que des gens accrochés à  leur combiné, dans la rue, dans le métro « allo ! allo ! Je ne t’entends pas, tu me reçois, allo ! Je suis dans le métro. Je voulais juste te dire que j’arrive », que je serais un peu en retard ou en avance, c’est selon…

 

Instants de convivialité dans la solitude du milieu de la foule. Voyez que je ne suis pas seule. Quelqu’un me parle, je lui parle, j’existe ailleurs qu’ici où je ne suis que de passage.

 

J’avais mis la boîte contenant mon K 700, le petit journal d’instructions en six langues, le chargeur, le kit main libre, oreillettes, etc. dans le sac jaune de la boutique que ma vendeuse m’avait donné.  Je dois à l’honnêteté de dire que je me sentais différente : J’allais être reliée au monde, ne plus être anonyme. Je pourrai appeler, être demandée : être,  aux yeux de tout le monde.

 

 

Arrivée à la maison, sans même me  changer, je déballe l’appareil, mets la batterie en place et en charge. J’entreprends alors la lecture de la notice. La galère !

 

Le sommaire très clair. Description de tout ce que l’on peut faire avec l’appareil, c'est-à-dire, à peu près tout, sauf, peut être bécher son jardin ou laver son linge...  Je vais voir page 46 comment émettre un appel (c’est aussi pour téléphoner que j’ai acheté cet engin) où l’on explique comment démarrer une conférence téléphonique. Très intéressant. Je ne comprends rien. Pour le premier correspondant, facile. Je fais le numéro. Premier changement, je dois le mettre en attente en appuyant sur la touche idoine. J’émets un deuxième appel, je dois appuyer sur la touche entrée (c’est laquelle ? Retour page 10. Ah ! C’est le joystick qui fait fonction). Zut ! J’ai perdu la page. Je reviens à la 46. Où en étais-je donc, deuxième ou troisième appel ? Va savoir Charlotte (je m’appelle Charlotte). Je décide de recommencer à zéro.

 

Premier appel, attente, deuxième appel, entrée, joindre appels pour créer une conférence, attente, entrée, sélectionner ajout. Bon j’arrête, d’ailleurs je ne vois pas avec qui j’organiserais une conférence et ensuite pourquoi faire ?

 

Un peu rebutée par ce premier échec, au hasard, je vais à la page 104 où l’on me propose d’apprendre comment transférer les données via le port infrarouge qui permet de communiquer avec d’autres périphériques infrarouge ! Je me sens subitement très sotte, has been, larguée. Bon, par grave, je ne ferai que téléphoner, à une seule personne à la fois et je me souviendrai que j’ignore ce qu’est un port infrarouge ce qui ne m’a pas empêchée d’arriver à mes, déjà, trente ans, comme le temps passe.

 

Après avoir fait et dégusté mon dîner, je reviens vers mon téléphone : enregistrer mon annuaire ou répertoire dans la terminologie K 700. Je passe en revue tous les noms des gens que je connais et dont je possède le numéro de téléphone. Je n’en connais aucun par cœur, sauf celui de ma mère. J’imaginais en avoir des dizaines. En fait, dans mon agenda je n’en vois que 8 dignes d’être dans mon téléphone. D’autres le furent mais ont disparu un jour, ils n’étaient pas suffisamment disponibles, sans doute. Serais-je de type solitaire ? Mes amies ont des répertoires remplis de nom de copains de petites ou petits amis, prêts à répondre et venir au moindre appel pour un film, une séance télé, une bouffe, une ballade, plus si affinité.

 

Moi, 8 dont ma mère, un cousin et le reste, de vagues amis, que je n’ai pas vus, pour la plupart depuis des mois et encore, je ne suis pas certaine que leurs numéros sont encore valables. Je les inscris en tout cas, me réservant de les appeler pour vérifier qu’ils sont toujours bons.

 

J’appelle répertoire, autres, ajouter un nom, etc. Tiens, il y en a déjà un inscrit : Lucette. Ah oui ! C’est ma vendeuse. Son visage me revient en mémoire. Pourrions-nous être amies ? Elle est bien  jeune encore. Elle ne doit pas avoir plus de 22 ans. Je suis une vieille pour elle.

 

J’inscris mes  numéros, 9 en tout, c’est un bon début !

 

Demain, je ferai le tour de mes relations. Il est trop tard pour aujourd’hui et en plus la batterie n’est pas encore complètement chargée.

 

Après ma toilette vespérale, je vais au lit. Je dors le téléphone à la main, reliée au monde des gens qui existent. Présence potentielle qui me rassure et me valorise : moi aussi, j’ai un portable !

 

C’est encore mon vieux réveil qui me signale qu’il est l’heure de se lever. Demain, je réglerai mon portable sur cette fonction, si j’y arrive. Ce doit être formidable d’être réveillée par son téléphone. C’est comme si une personne aimée se penchait sur vous en vous secouant affectueusement en vous disant : c’est l’heure ma chérie, il faut te lever. C’est autre chose que ce coucou violent, sans nuance, sans pitié, sans amour.

 

Ça y est, il sonne ce méchant. Déjà. J’ai l’impression que  je viens de m’endormir, et pourtant c’est bien lui. Ma seconde pensée va à mon téléphone. Il est là, à coté de ma lampe de chevet (je l’ai branché sur la même prise). Qu’il est beau, je l’avais presque oublié. Je le prends en main, il est chaud de sa batterie pleine d’électricité, d’émotions potentielles, de rêves à venir, de voix suaves qui me parlent, ne disent des mots qui me font rougir, me troublent, me font sortir de moi-même.

 

Avant de partir, je le mets dans mon sac, dorénavant, je ne le quitterai plus. J’ai dix minutes à faire à pieds pour prendre mon bus. Et si je téléphonais à ma mère. Je sors le téléphone du sac. Entrée, un coup de joystick, répertoire, tous mes noms sont là. Je  descends jusqu’à l’inscription maman, qui devient active, appeler. J’appelle, appareil collé à l’oreille.

 

- allo ?

- c’est toi, maman ?

- qui veux-tu que ce soit, Charlotte. Qu’est-ce qui t’arrive, tu as un problème ?

- Non, pas de problème. Je voulais te dire bonjour de mon téléphone portable !

- Enfin, tu t’es décidée à en prendre un. Tu deviens grande, mais la prochaine fois ne m’appelle pas si tôt ! Elle m’embrasse et retourne au lit. Je suis contente, j’ai passé mon premier appel et j’ai remarqué qu’une personne me regardait quand je parlais à maman.

 

Au bureau, je vois les gens d’un autre œil. Ceux qui sont dignes d’être dans mon répertoire et les autres. La fin de journée arrivée, j’ai ajouté  six noms de collègues. Je dois les appeler pour qu’ils mémorisent mon propre numéro. Je suis absolument enthousiaste. De temps à autre, j’appelle le répertoire pour voir tous mes nouveaux amis, bien rangés, comme à la parade, en ordre alphabétique, le petit doigt sur la couture du pantalon, prêts à servir.

 

La fin de journée arrive vite. Je vais rentrer rapidement à la maison pour passer mes premiers appels aux collègues.

 

- bonjour, je suis absent pour le moment. Après le signal sonore, laissez votre message, je vous rappellerai dès que possible.

 

- bonjour les louloutes ! Je suis déjà en mains, attendez un peu et je vous appelle dès que je me suis refait une santé !

 

- vous êtes bien sur le répondeur de Paul. Laissez votre message….

 

- allo, salut Charlotte !

- salut, comment sais-tu que c’est moi ?

- ben ma belle, ton nom s’affiche automatiquement.

- formidable, je ne le savais pas. Ainsi si tu me passes un coup de fil, je verrai s’afficher Isabelle ?

- eh oui ! On n’arrête pas le progrès, sauf si tu décides de masquer ton numéro pour ne pas laisser de trace. Tu sais, quelques fois, il vaut mieux pas.

- oui c’est vrai. Qu’est-ce que tu fais ce soir,

- rien, je vais au lit, je suis crevée. Allez, salut Charlotte à demain.

 

Mes autres coups de fil ont des succès divers. Pas là, pas le temps, pas la pêche, pas envie, pas avec toi…

 

Je suis tout de même contente. Ils ont tous mon numéro, c’est l’essentiel. Je n’ai pas bien compris ce désir d’anonymat par masquage de son numéro. Si je téléphone, c’est précisément pour être reconnue. Cela me fait penser à une lettre non signée. Il faudra que j’en parle à Isabelle.

 

Lucette. Tiens, elle pourrait me dire quelque chose à ce sujet. Je saute sous ce  prétexte pour l’appeler.

 

- bonjour, ici  c’est…

-  Charlotte, comme c’est sympa de m’appeler. Je ne pensais pas que tu, pardon, vous me téléphoneriez. Alors, comment va ce bijou de portable ?

- super bien, j’ai déjà vingt numéros inscrits.

- ouais ! Vous avez beaucoup de relations. Vous ne devez pas vous ennuyer dans la vie, au moins.

- Non, c’est vrai mais en l’occurrence, il s’agit de personnes de ma famille et des collègues de bureau.

- c’est déjà ça. Moi, je ne connais quasiment personne à Paris que je puisse appeler.

- Non ce n’est pas possible, mignonne comme vous êtes, je pensais plutôt que l’on devait se bousculer pour vous voir.

 

Je suis peut-être allée un peu loin.

 

- pardon, je voulais dire que vous devez avoir beaucoup d’admirateurs et de connaissances, forcément, dans le commerce.

 

Pas de réponse. L’aurais-je froissée ou mis le doigt sur un point qui fait mal.

 

- Lucette, vous êtes toujours là ? Je ne vous entends plus, dites-moi quelque chose.

- pas de problème. Merci pour le « mignonne ». Vous n’êtes pas mal non plus !

- quoi, mais je suis vieille et banale. Vous, vous êtes jeune et belle !

- et seule. Je suis sauvage, je n’aime pas les admirateurs dont vous parlez. Je sais trop ce qu’ils veulent et cela ne m’intéresse pas. D’ailleurs, vous ne devez pas être très différente. Je l’ai vu tout de suite au magasin.

 

Cette discussion trop personnelle commence à me déplaire. Je décide de lui poser ma question sur le masquage du numéro d’appel.

 

- au fait, je n’ai pas bien compris le pourquoi et le comment du masquage de l’appelant.

- vous pouvez consulter votre manuel à la page 47. Les gens qui refusent l’affichage de leur numéro sont ceux qui veulent rester secrets ou discrets. Ils doivent demander à leur fournisseur d’accès (leur compagnie de téléphones, Orange, Bouygues, etc). Mais dans ce cas, ils ne savent pas non plus qui les demande. Vous pouvez aussi masquer votre numéro en faisant 31 dièse 31.

- je ne vois toujours pas l’intérêt.

- attendez. Par exemple, une personne a envie de parler avec une autre mais ne veut pas, si elle n’est pas là, laisser de trace de son appel pour ne pas donner l’impression qu’elle la poursuit, qu’elle force sa porte en quelque sorte. Beaucoup de gens ne répondent jamais directement à un appel mais vont voir dans les messages reçus celui ou ceux auxquels ils souhaitent répondre.

- c’est bien compliqué !

- c’est la vie qui est bien compliquée…

- bon, j’ai été contente de parler avec vous, je dois vous laisser vous devez être sur le point de vous mettre à table avec votre famille ou votre ami.

- non, je suis seule comme je vous l’ai déjà dit. Quand j’aurai trouvé l’âme sœur, je verrai. J’ai été très contente de vous entendre, rappelez-moi quand vous voulez, sans masquer le numéro, s’il vous plait. Bonsoir Charlotte.

 

Je n’ai pas le temps de commenter qu’elle a raccroché. Elle aurait tout de même pu attendre. Elle doit m’en vouloir pour mes questions indiscrètes. Bon, je ne vais pas passer la soirée là-dessus. N’empêche que je ne me trouve pas claire sur ce coup. Je suis presque contente qu’elle soit seule et disponible. Il me semble que je lui plais. Nous pourrions devenir amies ?

 

Je décide de me coucher, la soirée est déjà bien avancée. Si je ne me connaissais pas bien, je penserais que je suis en train de « virer ma cuti ». C’est certainement ma solitude qui en est la cause. Je n’éprouve rien de trouble pour cette fille. Elle est sympathique mais c’est tout. Je pense que je devrais ouvrir un peu de cercle de mes relations. Aujourd’hui, si je trouvais du charme à un pot de fleurs, j’en serais à me demander si je ne deviens pas « potdefleursphile » !

 

Demain est vendredi. Je vais mettre cette journée à profit pour étoffer mon répertoire avec d’autres collègues de bureau.

 

J’ai changé  les draps du lit ce matin. Je m’y glisse avec plaisir. La fraîcheur du tissu empesé me fait du bien. Cette histoire avec Lucette m’a énervée.

 

Le sommeil m’a surpris dans mes pensées. Je croyais les contrôler alors que je dormais déjà. Assez mal dormi. Rêves étranges, situations confuses, insolites.

 

C’est maintenant passé dans les mœurs de l’Entreprise. Le vendredi, tout le monde adopte une tenue décontractée. Tous prêts pour le sacro-saint week-end. Je fais comme les autres et enfile un jeans.

 

Quand je vais vers un ou une collègue, non encore répertoriée, je lui demande son numéro de portable et lui donne le mien. J’ai l’impression de me lancer dans une campagne de séduction. Pourrait-il y avoir une réalité derrière le traditionnel « on s’appelle ».

 

Je l’ai déjà dit, je suis plutôt solitaire. Ce n’est pas un choix, ce n’est pas moi qui ne vais pas vers les autres, mais plutôt le contraire. Je dis que je suis solitaire, en réalité je suis seule. Les quelques aventures que j’aie vécues m’ont laissé un arrière goût d’amertume. On me dit quelques fois que je ne suis pas mal et encore jeune. Quand,  par coquetterie ou provocation, je dis que je suis vieille et banale, j’attends toujours une violente dénégation qui ne vient pas chaque fois. Ce que j’aimerais, moi, c’est avoir des amis avec qui sortir, discuter, faire des excursions, du sport, aller au spectacle. Quand je crois en tenir un qui pourrait convenir, il ou elle n’aime pas le sport, la musique mais la télé, les revues « people » ou la baise, tout de suite, sans fioritures, sans lendemain. Et qu’on ne me dise pas que je devrais faire des efforts. Je suis dans plusieurs associations, clubs où je rencontre des gens, mais quand vient le moment de la séparation, chacun repart de son coté et je rentre à la maison, seule. Personne ne m’invite à venir chez lui, gratuitement, juste par amitié.

 

Le téléphone devrait arranger cela j’espère.

 

Comme tous les gens qui travaillent, le samedi est consacré pour une bonne part aux taches domestiques, ménage, courses. Ce n’est qu’à partir de la fin d’après-midi qu’on se rend compte du vide de son existence. Jusque là, mon téléphone n’a sonné qu’une fois. C’était maman qui venait prendre de mes nouvelles de son ton protecteur et condescendant. Je suis toujours sa  « pauvre petite fille » et devrais toujours faire le contraire de ce que je fais.

 

Le samedi soir et le dimanche ont passé. RAS. Aucun des collègues à qui j’avais téléphoné pour prendre rang dans leur répertoire ne m’a appelé.

 

Le silence est aujourd’hui plus fort qu’avant.

 

Heureusement que j’ai ma télé. Au moins je vois des gens connus. J’attends leur apparition sur le petit écran, c’est comme si nous avions rendez-vous. Tout en regardant Drucker qui reçoit son invité dans « vivement dimanche prochain », je prépare mon dîner.

 

Une sonnerie bizarre jaillit de mon téléphone. Ce n’est pas une sonnerie classique mais les premières mesures d’une ouverture célèbre. Je me précipite, des quantités de noms m’assaillent, qui cela peut-il bien être et pourquoi cette musique, je n’ai pas enregistré de musique pour personnaliser les appels ?

 

Répondre  oui  non. Dans un carré bleu, en lettres noires, je lis Lucette.

 

Oui !

 

- allo ? allo ?

- bonsoir, Charlotte. Je ne vous dérange pas ?

- je hurle plus que je ne dis : Non ! Vous ne me dérangez pas. Votre appel me fait plaisir.

- avez-vous passé un bon dimanche ?

- non. Voulez-vous que nous nous voyions ce soir ?

Je suis folle. Je me jette littéralement à l’eau. Je me fiche de ce qu’elle va penser : une excitée, une salope, j’accepte tout. Tout pour ne plus être seule. Merci Lucette.

 

- voulez-vous que nous nous retrouvions à Montparnasse. Je connais une brasserie sympathique, Le Sélect.

- oui, quand ?

- le temps d’arriver, disons une demi-heure ?

- j’arrive !

 

La station de métro est à ma porte. En principe je ne le prends jamais. Je vais au bureau par le bus. Mais ce soir, pas question d’en attendre l’hypothétique passage et puis la station Montparnasse est directe. Je remonte le boulevard à toute vitesse ne ralentissant qu’arrivée à quelques mètres pour reprendre mon souffle. Je ne sais que penser. De moi, d’elle, de nous ? Mes mains tremblent. Il faut que je me calme, absolument. Lucette était seule, s’ennuyait, avait mon téléphone, nous avons sympathisé, il n’y a pas de quoi se mettre dans cet état.

 

Elle est déjà devant la porte, observant les gens qui passent. Elle me voit. Un sourire lumineux éclaire son visage, je laisse le mien faire à sa guise sans lui commander ni prudence, ni retenue.

 

Nous restons face à face à nous regarder et nous sourire. Ce sont finalement nos bouches qui en se rejoignant racontent tout de nous, de notre rencontre, de nos désirs, de la destiné.

 

- si nous avons une fille, nous l’appellerons Orange !

 

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